Lecture au Parvis des Arts (Marseille)

Lors de la scène ouverte le 15 novembre 2023

Lecture d’un extrait d’Au delà des mers en huit lettres Editions Drosera

Cayenne le 02 avril 1927

Chère Marie

Je viens de m’installer en Guyane avec ma femme Hannah, après notre mariage à Lyon l’été dernier.

Hannah est si belle, je l’aime follement. Je l’ai rencontrée lors de mon précédent voyage au Maroc. Elle est musulmane, parle de nombreuses langues, est graphiste. Je te joins un texte en arabe classique qu’elle a calligraphié, je n’en connais pas le sens.

Nous travaillons tous les deux à Cayenne, moi comme ingénieur des eaux et forêts et Hannah à la Poste.

Ici la forêt est partout, elle couvre presque toute la Guyane, une forêt dense et primaire. Une des plus grandes forêts tropicales du monde avec une faune étonnante de perroquets, de mygales, de tortues et de jaguars. C’est un changement complet de décor.

En ce moment la folie de l’or fait tourner la tête à plus d’un. Nombreux s’improvisent orpailleurs et les chercheurs illégaux pullulent, conduisant à une exploitation agressive des sous-sols. L’administration est dépassée et la forêt tropicale en souffrance. On se croirait un peu dans le Far West américain avec cette frénésie de l’or, et la violence s’installe. Je fais de mon mieux pour préserver la nature et me sens souvent bien seul face à des intérêts purement mercantiles.

Nous avons pris quelques jours de repos pour visiter la province voisine du Brésil. Nous avons traversé la forêt amazonienne pour aller à Cabo Baso do Norte, une région extrême et difficilement accessible.

Je te joins une carte pour que tu puisses te la représenter, ainsi qu’une vieille photographie que j’ai retrouvée dans un livre lors du déménagement. On nous voit tous les trois avec les parents. Il manque juste Philippine qui était en pension ce jour-là. Tu préparais le baccalauréat dans la salle qui jouxte le café-jeu-de-boule-à-la-lyonnaise, avenue de la République, près du champ de foire aux Abrets. Tu étais bien studieuse, et moi je ne pensais qu’à courir dans les prés, jouer ou rêvasser. Edouard se tient bien droit à côté de nous avec son tambour. Papa a interrompu un instant son travail au café et pose devant l’objectif, maman sourit. On lit la fierté dans leur regard et aussi l’incertitude devant l’avenir. Ils n’ont pas fait d’études, et se demandent sans doute où cela va nous mener.

Au bout du monde… L’ironie du sort a voulu que nous nous installions tous les deux dans des contrées lointaines entre tropiques et équateur.

Parle-moi de ta vie au Togo et de tes projets. Comment vont les enfants ? Ils doivent encore avoir bien grandi, et Victor, navigue-t-il toujours autant ?

Nous rentrerons en France l’été prochain. Nous passerons aux Abrets voir les parents. J’espère te revoir. Cela leur fera plaisir que nous soyons réunis. Nous pourrons nous raconter tout cela, assis sur les chaises longues sous le bananier près du jeu de boule. Tu te souviens des lourdes boules de bois cloutées que nous peinions à tenir dans nos mains d’enfants ?

Ton frère

Jules

Merci à l’équipe du Parvis des arts de Marseille

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